« Exercice solitaire »
Pour assurer ces nombreuses tâches, les directeurs sont souvent seuls, alors qu’ils ont également la responsabilité d’une classe.
Certains bénéficient d’une « décharge », c’est-à-dire d’une personne qui va assurer la classe à leur place, quelques jours par mois, selon la taille de l’école, pour leur permettre d’assurer leur fonction de directeur. Mais pour nombre d’entre eux, les décharges sont inexistantes ou jugées insuffisantes.
Pierre* ne se dit pas accablé par son travail qu’il affirme toujours aimer. Il est directeur d’établissement à Paris et a donc le privilège d’être totalement déchargé. Mais il a également officié dans les Yvelines, pendant une vingtaine d’années sans décharge, et reconnaît qu’assurer la direction et la classe « est juste énorme : on fait deux boulots en un ».
Concrètement, un directeur des écoles est pris entre l’académie, la mairie, les enseignants (dont il n’est pas le supérieur hiérarchique), ses élèves, tous les élèves de l’établissement, les parents d’élèves, puis les associations ou encore les assistantes sociales.
« Aujourd’hui, l’exercice de la direction d’école est un exercice solitaire », affirme à franceinfo Alain Rei, président du Groupement de défense des idées des directeurs d’école (GDID), une association qui milite pour la création d’un nouveau statut spécifique pour les directeurs d’établissement. Et dans les zones reculées, le directeur est réellement livré à lui-même. « A la campagne, vous êtes tout seul dans votre école avec les élèves », insiste Ghislaine. Et d’ajouter : « Il y a déjà un isolement quand on est directeur d’école, et si on n’a pas de collègue, c’est encore pire. »
« Jamais remercié »
Le directeur est donc seul face à son administration, qui n’est pas tendre lorsqu’un incident survient. « Souvent, quand il y a un problème dans votre école avec un élève, ou un parent d’élève, tout de suite, la hiérarchie a un côté suspicieux : ‘Mais comment avez-vous fait ? Et pourquoi vous n’avez pas fait comme ça ?’ C’est extrêmement pénible à vivre », raconte Ghislaine. Véronique Decker estime que, dans un contexte de « judiciarisation croissante », « l’administration ne cherche qu’à se couvrir ». Et de trancher : « L’intérêt de l’élève, l’intérêt de la famille, l’humanité de la relation, tout le monde s’en fout. »
« Le directeur se doit d’être réactif et, en cas de faute, accepter d’être le seul vers qui les reproches convergent. Il est la pierre angulaire du premier degré, mais il n’est jamais remercié », analyse Fabrice.
Le bilan est amer pour Ghislaine : « On veut toujours bien faire. Et on a l’impression que ce n’est jamais assez. On est tous plus ou moins dans les symptômes du burn-out. » De son côté, Madeleine reconnaît « faire partie des directrices qui emmènent leurs problèmes à la maison » et ne cache pas « se laisser parfois envahir par les pleurs ». « On a le sentiment de ne pas y arriver », poursuit Alain Rei.
Un poste mal payé, une formation inadaptée
Des tourments pour un travail débordant, et un salaire qui ne fait pas rêver les enseignants. L’OCDE a demandé à la France, en septembre 2018, de clarifier et revaloriser le statut et le rôle des directeurs d’école primaire en France. En effet, un directeur d’école primaire (maternelle et élémentaire) ne gagne que 7% de plus qu’un enseignant, alors que l’écart est de 41% en moyenne dans les autres pays de l’OCDE.
« Pour tout ce qu’on fait, on n’est pas bien payé. Personne ne se bouscule au portillon » pour les postes de direction, souffle Ghislaine. Pourtant, devenir directeur n’est pas spécialement compliqué. L’enseignant qui se porte candidat passe un oral d’une trentaine de minutes et « presque tous les gens qui passent cet entretien sont admis », affirme Pierre. Résultat : beaucoup de directeurs arrivent en poste sans vraiment réaliser la charge de travail. « Dans la majorité des cas, après un an d’essai, c’est une volonté de rester », assure Fabrice.
La formation des directeurs est également mise en cause. Elle se fait sur trois semaines perlées, c’est-à-dire réparties à différents moments de l’année. Outre cette formation en pointillé, pour Pierre, il y a un « déficit dans la formation en termes de management », soulignant que « parler en public, en réunion, devant les parents ou des représentants, est hyper stressant ».
Une réflexion sur la création d’un nouveau statut spécifique pour les directeurs d’école est en cours. Mais rien n’est encore tranché.
Le ministère de l’Education nationale se contente d’indiquer à franceinfo que « cette réflexion est inscrite à l’agenda social » et qu’elle est « l’un des dossiers les plus importants ».
Il ne peut donner d’échéance ou se prononcer sur des pistes, comme l’éventuelle création d’un statut hiérarchique supérieur pour les directeurs d’école, ou un dédoublement avec un poste de directeur administratif et un autre de directeur pédagogique. En attendant, le malaise risque de perdurer.
Pour tenir, les directeurs s’accrochent « aux sourires des enfants et la reconnaissance des parents », glisse Ghislaine.
Mais pour combien de temps ?
*Le prénom a été modifié
Source: franceinfo.fr
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