On apprend que cinq ans après la fin de leurs études, entre 20 et 30% des nouveaux maîtres d’école ont déjà quitté le métier.
Ils ne le supportent plus, et le rêve initial s’est transformé en cauchemar.
Pour les soutenir, leur association propose de mettre en place un système de mentorat, avec des tuteurs formés et rémunérés. Il s’agirait au fond de soutenir les jeunes collègues pour leur permettre de passer ce mauvais tournant. Mais la mesure n’est pas très intelligente car le mal vient de plus loin.
Il n’est pas seulement dû à une faiblesse momentanée.
C’est que le métier de professeur a changé du tout au tout en vingt-cinq ans.
D’abord, il ne s’agit plus de transmettre un savoir ni de se faire le passeur de l’héritage culturel, mais d’animer les classes.
Aux exercices répétitifs, on a préféré les activités; au travail, le jeu; à la règle, l’option. Le mode «cool» est branché en permanence sur l’école, qui est devenue une sorte de gardiennage dans lequel le prof est réduit à tenter de maintenir un ordre sans cesse vacillant.
Peu soutenue par sa hiérarchie, son autorité est partout contestée: par ses élèves (ce qui est de bonne guerre), mais également par les parents, qui entendent participer à la cogestion des cours, reformuler les barèmes, s’exprimer sur le contenu et la méthode; par les directions enfin, qui ne défendent plus leurs maîtres et les laissent seuls exposés à la critique externe. Les directions ne font plus leur travail de soutien.
Ensuite, l’enseignement est un art, et ceux qui sont incapables de l’exercer en ont fait une science.
Un des facteurs centraux de la péjoration du métier provient directement des instituts de formation, carcans idéologiques et passablement indigents, qui se prétendent les garants des «sciences de l’éducation». Moins longtemps les futurs enseignants seront exposés à cette idéologie désastreuse de «l’élève au centre», mieux ils se porteront.
De plus, la difficulté éducative que rencontrent bien des parents, le laxisme ambiant, le désarroi, l’interrogation permanente sur les valeurs à promouvoir les ont poussés à demander à l’école de faire ce qu’elle n’a pas vocation de faire au premier chef : éduquer.
L’école doit instruire, l’éducation est d’abord l’affaire des familles. Ce glissement progressif de l’instruction vers l’éducation a transformé le professeur en éducateur, ce qu’il n’est pas, et ce qu’il ne veut pas être. Et le stress est démultiplié.
En outre, la dévalorisation sociale des professeurs (des fonctionnaires planqués qui ont trop de vacances) a fait de ce métier un métier trop exposé à toutes les critiques. Le professeur, ordinaire serviteur de l’Etat républicain, est devenu celui qui doit mettre de bonnes notes parce que le droit aux études est devenu un droit aux résultats. Et la pression sur lui est énorme, pression parentale mais aussi pression hiérarchique.
A cela s’ajoute l’inflation bureaucratique qui a transformé le métier.
L’Etat a tellement peur des recours, des plaintes et des réactions diverses qu’il se blinde; et les profs doivent sans cesse remplir des formulaires, justifier par écrit leurs moindres démarches, écrire des lettres, faire des statistiques, qui s’ajoutent à la réunionnite, aux animations diverses, aux sorties infinies, aux préparations festives, pour rendre l’école ludique.
Enfin, l’école est l’objet de toutes les réformes, en rafales.
Les nouveautés à peine intégrées sont rendues obsolètes par de nouvelles réformes absurdes, et cette danse incessante contribue à l’instabilité du métier.
Dans ce contexte, le métier a changé de nature, et l’appui d’un collègue chevronné ne suffit pas à refonder une stabilité scolaire.
Avec l’autorité à l’école en déliquescence, c’est l’autorité de l’école qui s’efface.
Il ne s’agit pas de revenir à l’école traditionnelle ni de remettre au goût du jour des recettes de grand-papa; il s’agit de prendre un nouveau départ mais sur de tout autres bases que celles en vigueur aujourd’hui. Il s’agit de refaire l’école.
Sources: tdg.ch/reflexions, mon expérience de thérapeute